Les surprises de la vie...
27 Février 2015
Le 26 février : l'OBS
Un jour de 1978, dans un village provençal, Jacques Ibanès fit la connaissance d’un apiculteur végétarien de 96 ans : adepte de l’esperanto, « œil rieur et moustache gauloise », il disait avoir été le secrétaire de Léon Tolstoï entre 1900 et 1909. Ce n’était pas une blague. Ses souvenirs, mêlés de lettres inédites, paraissent aujourd’hui. Fils d’un ingénieur parti en Russie construire une ligne de chemin de fer, Victor Lebrun raconte comment, plus de vingt ans après « Anna Karénine », l’écrivain l’a reçu dans le domaine d’Iasnaïa Poliana, où il s’était retiré pour vivre à la manière d’un moujik. Là, Lebrun répond avec lui à des lettres venues « de tous les coins du monde». Il écoute cet anarchiste chrétien lire Schopenhauer, Lao-tseu, et prophétiser une révolution contre la propriété foncière. Il tape en trois exemplaires son « monumental journal intime », dont l’un ira dans une « chambre spéciale » qui a « des rideaux de fer pour l’isoler en cas d’incendie », et un autre, en Angleterre, chez un tolstoïen en exil, pour échapper à la censure. Lebrun n’est pas payé, car « d’un Gandhi, d’un Tolstoï on ne prend pas d’argent». D’ailleurs, le maître lui-même, haï par sa femme, fuit le pognon, même quand un Américain lui offre « 2 dollars par mot». Lui préfère travailler « à tâtons » et répéter en français ce mot qu’il attribue à Newton : « Le génie, c’est la patience. » De la part d’un génie comme Tolstoï, ça reste à méditer.